Des vagues déferlantes d'eau salée, l'excitation de l'infini, la peur de l'inconnu, tous ces sentiments se sont emmêlés dans le cœur de Luka. Il voulait courir sur un voilier, il voulait faire le tour du monde, il voulait changer de gravité, il voulait voler sur l'eau, il voulait vivre l'aventure seul en naviguant sur des marées étranges. La sensation du vent qui secoue, la puissance de la mer qui envahit, l'immensité de l'océan qui aveugle, la puissance de l'inconnu et le monde à vos pieds. Vivre la vie comme elle vient, comme elle se ressent, accueillir les tempêtes comme de vieilles amies.
Luka voulait fuir.
Alors, il signa pour une grande aventure de tour du monde en solo. En contrôlant son voilier blanc, il contrôlait sa vie, une existence qu'il avait peine à comprendre. Luka largua son cheval blanc et navigua sur les eaux profondes de l'océan. Il n'avait aucun lien sur terre, il n'avait pas de femme à perdre, il n'avait qu'un frère qu'il n'avait pas vu depuis des années. Luka n'avait pas de travail permanent, il n'avait pas de maison, rien ne le reliait au monde terrestre. Comme s'il n'était pas né pour vivre sur la terre, comme s'il ne devait pas vivre comme un mortel ordinaire. L'appel de la mer était plus fort que tout, comme si quelqu'un l'attendait, comme si quelqu'un l'appelait. Le bruit des vagues berçait ses nuits, il se languissait de leurs caresses.
Le grand jour, le cœur de Luka errait dans les rues une dernière fois. Il portait un chapeau de pirate de couleur violette, il ne se souciait pas de ce que les gens pensaient. Il vivait son rêve, le seul être à s'épanouir dans la brume. Le grand bleu était excitant. Plus il s'éloignait de la côte, plus il goutait le sel de la mer. Le mouvement du bateau sur les vagues ne le rendait pas malade. C'était une berceuse pour lui, il pourrait s'endormir comme ça. Luka était hypnotisé par la mer, il se demandait s'il lui faisait le même effet. Il pourrait passer des heures à la regarder mais il avait un concours à gagner. Il voulait gagner la coupe. Il économisa toute sa vie pour acheter son voilier, il joua le jeu pendant des années pour avoir ce qu'il voulait à la fin. Il était temps pour lui de suivre le vent et de vivre.
Un dernier adieu à la terre des humains, le dernier adieu à ce monde qui ne lui appartenait pas. Il ne regrettait rien, il était prêt à renaitre sous les flots des mers agitées.
Dans sa vie d'avant, Luka écrivait des poèmes que personne ne lisait. Ces poèmes semblaient provenir d'un autre monde, d'une inspiration venant de nulle part. Il suivait une ligne claire dans sa tête qui le faisait errer entre les pages de son manuscrit. Il avait une irrésistible envie de parler de l'infini de l'océan, il le faisait très souvent mais il n'était pas heureux de parler la mer sans la voir. L'imagination ne lui apportait pas cette connexion. Il était obsédé par son départ, il était obsédé par le fait de disparaître. Il ne voulait pas perdre la voix de la mer qu'il entendait parfois.
Il écrivit un dernier poème avant de partir, laissé sur le parvis d'une ruelle qui n'était jamais éclairée. Son poème parlait d'un amour qu'il n'a jamais connu, d'une femme qu'il n'a jamais aimée et d'un corps qu'il n'a jamais chéri. Luka ne ressentait pas ce monde, il ressentait l'absence d'elle.
Le surnaturel, le mystique, l'impossible attendait Luka, il ne le savait pas.
Le dixième jour en mer était le pire. Une énorme tempête renversa presque le cheval blanc. Alors qu'il livrait bataille contre l'océan, il entendit une voix. Les vagues se déchaînaient, les vents étaient violents, il faisait tout pour ne pas tomber à l'eau. Il voulait suivre son plan mais rien ne se passait comme prévu. La mer s'amusait avec son voilier blanc. Il se sentait petit, sans défense face au pouvoir de la reine. Il était vulnérable face à elle. Le froid s'immisçait dans sa chair, dans ses os, dans son cœur. Il se sentait fébrile, il ne sentait pas le sol sous ses pieds, il se demandait même si tout ceci était réel. Peut-être qu'il s'était endormi sur son bureau, peut-être qu'il ne s'était jamais enfui. Il devait regagner sa cabine pour se réveiller, il devait faire quelque chose pour ne pas se perdre encore. La mer était si en colère, il n'avait rien fait de mal, il espérait qu'elle se calmerait.
Le ciel était d'une obscurité étrange en plein jour comme si la nuit avait repris ses droits. La mer resplendissait dans le noir, les éclairs illuminaient les secrets.
Quelqu'un l'observait.
Luka ne voulait perdre aucune seconde, il glissa maladroitement avant de pénétrer dans la cabine et refermer la porte derrière lui. Le bruit du vent était maintenant doux à ses oreilles, il prit une profonde inspiration puis expira sa peur. Enfin, un peu de paix.
De loin, la mer observait le bateau. La femme ne bougeait pas au milieu du chaos. Une telle puissance ne pouvait s'ignorer, une telle femme ne pouvait s'effacer. Elle scrutait les mouvements du bateau, un si petit bateau qu'elle pourrait facilement détruire. La journée avait pourtant bien commencé avant que cette tempête ne l'appelle. Elle a vu le voilier blanc se battre pour ne pas chavirer, elle voulait l'aider. Elle n'était pas plus puissante que toutes les autres créatures de l'océan, elle n'avait rien de spécial. Elle était une perle précieuse qui n'avait simplement pas peur des hommes. Elle n'avait pas peur de Luka, elle le voulait. Elle avait déjà vu un humain avant lui, elle avait même bu de leur sang. Elle savait que Luka n'était pas de son monde, elle savait qu'il n'avait aucune idée de ce qu'elle lui réservait. La cruauté de la vie n'avait aucune limite, aucune barrière. Ici, il était une proie volontaire.
Sa longue nageoire se mit à glisser dans l'eau, elle allait vers lui. Elle se laissa guider par sa mère... la mer. Sa voix se mêlait à la sienne, elle lui disait que c'était son destin.
Un grand bruit réveilla Luka. des minutes après, il entendit un autre bruit plus fort que le premier qui ressemblait à celui d'un corps jeté sur du bois. Il ne comprenait pas. Il devait sortir de sa cabine pour voir ce qui se passait. En se levant, il entendit une voix intelligible. Il se persuada de n'avoir rien entendu. Il porta son imperméable jaune fluo et ouvra la porte pour faire face aux vents de la tempête. Il prit une corde pour s'y tenir et ne pas tomber.
C'était l'enfer et le corps d'une femme était allongé là.
Elle était nue, ses jambes étaient recouvertes d'une membrane transparente, ses longs cheveux mouillés aux boucles serrées formaient un halo divin autour de son visage. Luka était fasciné par cette créature, elle avait l'air humaine sans l'être. Sa beauté était si envoutante qu'il crut voir le soleil se lever sur sa peau. Luka pensait qu'il rêvait parce qu'il n'aurait jamais pensé dans sa vie, rencontrer un être si magnifique. Il s'approcha lentement d'elle. Son cœur ne pouvait pas faire autrement. Il s'agenouilla, passa la main sur la chose qui recouvrait ses jambes. La membrane visqueuse se pliait entre ses doigts, ça ne l'effrayait pas. Il était hypnotisé. Ses iris brillaient d'un feu dangereux mais Luka ne le voyait pas., elle si, bien que ses paupières restèrent fermées.
Il souleva le corps de l'inconnue avec délicatesse et marcha sans corde jusqu'à la porte de sa cabine.
Il était fort maintenant qu'il était avec elle, il avait trouvé le monde qu'il recherchait. Les respirations de cette femme chatouillaient son cou, il transportait un nuage dans une cage ou c'était le nuage qui le sortait de la cage. Luka ne semblait plus être Luka. À son contact, il était différent. Leur connexion créait de l'électricité qui vibrait dans chaque parcelle de son corps. Ils s'appartenaient l'un l'autre.
La femme sentait le sang s'engorger dans les veines de Luka. À l'intérieur d'elle, une étrange attirance se réveillait d'un sommeil profond. Ses longs cheveux glissaient sur le sol blanc tel des milliers de serpents. Elle souriait secrètement en bougeant les orteils. Elle sentait la vie remuer en elle.
Luka se déplaçait dans la petite cabine. Il faisait attention à ce qu'aucun objet ne la heurte. Le cheval blanc devait être gentil avec elle. Personne n'était encore jamais rentré dans son refuge avant elle. Unique comme une étoile filante. Divine comme l'océan. La femme ouvra les yeux et les referma aussitôt.
Il la posa sur le lit bientôt trempé, Luka regarda la belle endormie devant lui pendant un moment. Rassuré, il se retourna pour enlever son imperméable et le poser sur la table. Il se rendit compte que le bateau ne bougeait plus, comme s'il n'y avait plus de vagues, comme s'ils n'étaient plus sur la mer. Il se tourna pour regarder la femme sur le lit... Peut-être qu'il avait mis la mer en bouteille.
En un instant, elle disparut de sa vue. Il marcha vers le lit sans se fier à son esprit. Il entendit des murmures. Il ferma les yeux puis les rouvrit et l'inconnue était là, debout devant lui.
Nue et dangereuse.
La peur de Luka était délicieuse, elle s'en délectait. Des crocs dépassaient de ses lèvres pendant que son sourire s'étendait. Ses yeux noirs ressemblaient à des abysses. Des veines noires grossissaient autour de son regard ténébreux alors que ses cheveux bouclés s'entortillaient entre eux.
Luka haleta d'effroi, elle se transformait.
- Qui es-tu ?
- Alice.
Note de l'auteure: Je ne sais pas si je devrais continuer cette histoire, elle est assez atypique et j'avoue ne pas savoir dans quel registre elle pourrait se ranger.
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